La Traversée de la Meije est une grande course d'alpinisme mythique. Probablement l'une des plus belles des Alpes. Assurément une course qui marque à vie la carrière d'un alpiniste.
Elle consiste à escalader le Grand Pic de la Meije (culminant à 3983 m) par l'itinéraire des pionniers de 1877 (l'arête du Promontoire), puis à rejoindre le sommet du Doigt de Dieu (3973 m) par la célèbre traversée des arêtes de la Meije. Ce véritable voyage entre terre et ciel sollicite toutes les qualités de l'alpiniste : aisance sur tous les terrains (escalade en rocher, neige, glace, et traversée d'arêtes), manœuvres de cordes, rapidité de progression, recherche d'itinéraire, engagement et endurance.
Vous trouverez dans cet article un reportage photo sur la traversée de la Meije en boucle depuis La Grave (05). Un itinéraire sur trois jours avec des étapes au refuge du Promontoire et au refuge de l'Aigle.
Accès, topo, difficultés, infos pratiques
- Altitude : 3983 m - Grand Pic de la Meije
- Difficulté : D-/4a/IV - grande course rocheuse et mixte, jamais très difficile mais longue, soutenue et engagée en cas de mauvais temps ou d'orage.
- Topo et infos : camptocamp.fr , bureau des guides de la Grave, refuge du Promontoire, refuge de l'Aigle
- Accès: La Grave (05) puis remontées mécaniques jusqu'à la gare intermédiaire à 2414 m . Possibilité de rejoindre aussi le refuge du Promontoire depuis La Bérarde (38).
- Itinéraire J1 (env. 1000m D+) : Montée au refuge du Promontoire par les Enfetchores et la Brèche de la Meije
- Itinéraire J2 (env. 1000m D+) : Arête du Promontoire et Traversée des Arêtes de la Meije
- Itinéraire J3 (env. 1800m D-) : Nuit au Refuge de l'Aigle et redescente au Pied du Col près de Villard d'Arêne. Prévoir d'y garer un véhicule au préalable pour rejoindre la Grave.
- ATTENTION: un éboulement important a eu lieu en août 2018 au dessus du glacier Carré et expose désormais l'itinéraire aux chutes de pierres. Renseignez-vous auprès des guides locaux et des gardiens de refuge.
Jour 1 : Montée au refuge du Promontoire par la Brèche de la Meije
Vue depuis La Grave, la Brèche de la Meije (3357 m) qui sépare les faces Nord du Râteau et de la Meije est une sorte de porte d'entrée pour l'alpiniste. Accéder au refuge du Promontoire depuis la Grave par la Brèche de la Meije est déja une une course en soi. Elle est d'ailleurs côtée PD, avec les difficultés qui s'échelonnent sur près de 1000 mètres de dénivelé. Elles sont principalement rocheuses et concentrées dans les Enfetchores et de part et d'autre de la brèche, avec un passage glaciaire.
A la sortie de la gare intermédiaire du Peyrou d'Amont (2414 m) des remontées mécaniques de la Grave, l'itinéraire se dévoile. Il est encore tôt pour se projeter au sommet du Grand Pic tellement les incertitudes sont encore grandes. Va-t-on bien récupérer ce cette première journée ? Fera-t-il beau le lendemain ? Y-aura-t-il du verglas sur les dalles de la face ouest ? Ou tout simplement : sera-t-on à la hauteur ?
Ce premier jour est finalement une sorte de test, un examen d'entrée en Meije qu'il faut passer avec mention.
Le contenu des sacs a été mûrement réfléchi en supprimant le superflu pour les alléger le plus possible. Une chose appréciable quand le lendemain on cherchera un frêle appui dans la Dalles des Autrichiens ou qu'on remontera en haletant à près de 4000 mètres la goulotte englacée de la Dent Zsigmondy. Hormis les repas du soir et les petits déjeuners qui seront pris en refuge, il ne contiennent que le strict nécessaire pour ces trois jours en haute-montagne.
Après avoir traversé le torrent de l'Abéous au point côté 2336 m et le Clos des Sables, on rejoint le pied de l'Enfetchore de gauche. Il s'agir d'un éperon de rocher haut de 500 mètres dont le nom provient du patois "s'enfetcher" qui signifie s'égarer ou se perdre. Finalement, il eût sans doute été préférable de ne pas connaître cette signification... Disons que cela forcera à se concentrer encore plus pour trouver le bon itinéraire.
L'entrée en matière est une dalle licheneuse difficilement protégeable, surmontée un peu plus haut d'une corde fixe à la solidité douteuse... Le ton est donné. Heureusement, la suite est plus facile, avec des passage d'escalade peu difficiles entrecoupés de sentes plus ou moins marquées qui zigzaguent astucieusement entre les barres de rocher. Quelques cairns parsèment l'itinéraire et limitent (sans toutefois l'empêcher) la probabilité de "s'enfetcher" dans ce dédale.
Après avoir franchi quelques dalles polies, le terrain se couche et l'on se retrouve au sommet des Enfetchores. L'ambiance est particulière avec d'un côté les alpages verdoyants du plateau d'Emparis et du Chazelet, et en face la très impressionnante et austère face Nord de la Meije. C'est ici que l'on prend pied sur le glacier de la Meije pour rejoindre la brèche éponyme. Une fois la rimaye franchie, on se retrouve dans un sombre chaos de blocs rocheux et de pierres instables où comprend vite qu'il ne faut pas y trainer.
À la brèche on retrouve le soleil et une vue magnifique se découvre sur le cœur du Massif des Écrins. L'interminable vallon des Étançons serpente jusqu'à La Bérarde (point de départ alternatif pour rejoindre le refuge), surplombé par le groupe de la Grande Ruine. On distingue au fond les Bans, la Cime de l'Encoula, les Pics du Vaccivier, la Pointe du Vallon des Étages et la Tête de l'Étret.
En dessous, le refuge du Promontoire semble accroché au pied de la Meije. Mais pour le rejoindre, il faut encore faire preuve de vigilance et d'une extrême concentration. Les dalles sous la brèche de la Meije sont sèches, poussiéreuses et recouvertes de pierres instables. Le moindre faux pas est interdit. Heureusement, quelques spits sécurisent le passage.
Une fois la neige rejointe sur ce qu'il reste du glacier des Étançons, la pression retombe et on se met alors à penser à celle qu'on a mérité de boire au refuge.
Au refuge, on découvre le versant Sud de la Meije. C'est vraiment un choc, la muraille est si haute et raide ! En rejoignant la "bosse" située au dessus du refuge en face du passage du Crapaud, on découvre un formidable point de vue tout le versant Sud de la Meije, jusqu'au Doigt de Dieu, et on se prend à rêver de s'y dresser.
Mais pour l'heure, il est temps de se restaurer et se reposer. Fredi, gardien emblématique de ce refuge jusqu'en 2018, nous indique que monter au Grand Pic prend en moyenne à peu près 2 fois le temps de monter à la Brèche de la Meije. Nous avons mis 3h, les calculs sont vite faits... Demain sera une longue journée en montagne.
Jour 2 : Arête du Promontoire et traversée des arêtes de la Meije
Au départ du refuge du Promontoire, il fait souvent nuit lorsqu'on part pour la Meije. Le créneau doit être judicieusement choisi. Pas trop tôt afin d'éviter de se perdre en grimpant dans l'obscurité trop longtemps, ni trop tard pour éviter les potentiels orages de l'après midi sur les arêtes.
Aigle, Capucin, Cheval, Chat, Âne... Nous ces noms d'animaux qui parsèment la voie normale de la Meije trottent dans la têtes de chaque grimpeur. Autant de passages historiques dont on va bientôt comprendre la signification. Le premier à être rencontré est le Crapaud, situé une vingtaine de mètres au dessus du refuge. Rien de tel pour se réveiller et se mettre dans l'ambiance. Après quelques cannelures, on arrive au replat du Campement des Demoiselles, c'est le moment de quitter l'arête en tirant à gauche vers le couloir Duhamel. Il ne faut d'ailleurs pas chercher à le rejoindre trop vite mais rester sur sa rive gauche en remontant d'abord deux cheminées en III assez raides et souvent humides. Une fois le couloir rejoint, on se se sent pas vraiment en sécurité en cas de chute de pierres venant des cordées du dessus. Mieux vaut ne pas y trainer.
Au sommet du couloir Duhamel, on franchit la Dalle Castelnau, une plaque de rocher lisse peu inclinée avant de buter sur la Muraille Castelnau à environ 3400 mètres. C'est ici que se termine la partie facile de l'arête (qui n'a ensuite plus grand chose à voir avec une arête). Ce bastion haut de plus de 200 mètres a été la clé de la première ascension, dans lequel que seuls Emmanuel Boileau de Castelnau, Pierre Gaspard père et fils ont su trouver un passage le 16 août 1877 après plusieurs tentatives infructueuses.
Après une courte traversée à droite, on doit franchir le Mur Castelnau, un passage raide de quelques mètres en III. Cette zone a été très touchée par l'éboulement de 2018. Par un astucieux système de vires en ascendance à gauche, on rejoint un bloc sur l'arête au niveau de la jonction avec la face Ouest : le fameux Dos d’Âne (III). En remontant à droite on traverse la Vire aux Encoches et on remonte un passage en cheminée pour atteindre le bas de la Dalle des Autrichiens. Elle peut se franchir par la droite dans un dièdre physique ou droit dans la dalle au dessus du relais (IV) avec une escalade un peu plus engagée et tout en finesse sur un rocher superbe. C'est le passage d'escalade le plus difficile de l'ascension.
Après avoir contourné avec bloc aérien avec la délicatesse d'un félin (c'est le Pas du Chat, III), on finit par rejoindre la vire menant au Glacier Carré. C'est l'occasion de faire une petite pause et de chausser les crampons. La pente de neige pas très raide (35-40°) mais la moindre erreur d'inattention sur cette neige durcie par le gel et c'est le grand saut dans l'abîme... La concentration est extrême à chaque pas.
À la Brèche Glacier Carré (3790 m), on découvre la vue sur le versant la Grave. Il ne reste "plus" à rejoindre le sommet du Grand Pic en gravissant son versant SW. Mais cette portion n'est pas à sous-estimer, notamment si un perfide verglas vient vous tendre des pièges invisibles sur certaines prises. L'escalade, jamais difficile, y est néanmoins soutenue et on doit se concentrer pour progresser "à corde tendue" pour ne pas exploser l'horaire. Lorsqu'on regarde au loin ou plus bas, on on ressent cette ivresse des cimes qui donne l'impression de grimper dans le ciel et être plus haut que tout.
Le dernier passage clé de l'ascension est le Cheval Rouge que l'on aperçoit sous forme de brèche en "v" sur le fil de l'arête à gauche du Grand Pic. Ce court dièdre prisu flanqué sur sa gauche d'une dalle aussi lisse que rouge donne accès au versant Nord, permettant ainsi de contourner le mur raide de la facette ouest sous le Grand Pic. Est-ce la chance, l'intuition ou le génie qui ont guidé Gaspard et Castelnau vers ce passage ?
Juste au dessus on franchit un court ressaut vertical doté de bonnes prises (III+), le Chapeau du Capucin. Puis l'arête se couche et les derniers mètres d'ascension sont faciles. On a presque envie de ralentir, non pas par fatigue, mais pour savourer ce moment. On ne veut pas lever les yeux avant ce dernier instant rempli d'émotion que l'on attend depuis des années : se dresser fièrement au sommet du Grand Pic de la Meije à 3983 m d'altitude.
Mais immédiatement, une vue aimante le regard : l'impressionnant Doigt de Dieu et l'enfilade des Arêtes de la Meije qu'il va falloir franchir avant de rejoindre le refuge de l'Aigle.
Les minutes passées sur un tel sommet sont si rares et si intenses qu'on voudrait qu'elles durent des heures. Mais il est déjà temps de se remettre en route. Malheureusement la course ne se termine pas au sommet du Grand Pic. En fait c'est même une seconde course qui commence avec la Traversée des Arêtes de la Meije. Une chevauchée fantastique sur succession de cinq dents qu'il faut gravir jusqu'à la dernière : le Doigt de Dieu. Il parait encore si loin...
Après quelques mètres de désescalade, on rejoint une ligne de 3 rappels qui déposent directement dans la Brèche Zsigmondy. Cette zone a été le théatre d'un monstreux effondrement en 1964 qui fit perdre à la brèche une vingtaine de mètres de hauteur et rendant alors l'escalade de la Dent Zsigmondy beaucoup plus difficile. Elle se contourne désormais par un passage en face Nord équipé d'un câble, donnant à la course une toute autre ambiance. Mais certainement pas l'ambiance débonnaire d'une via ferrata !
Après avoir remonté le fil de la brèche qui se termine en véritable rasoir, on redescend une rampe versant nord avant de remonter une goulotte de neige/glace qui se redresse de plus en plus. C'est le souffle court qu'on arrive à son sommet qui marque la fin des difficultés. On est heureux de retrouver le soleil qui réchauffe le rocher doré et les doigts. Après tout ce que l'on vient de passer, la suite est bien moins difficile et on sait qu'on tient le bon bout si la météo reste au beau fixe.
Le parcours des arêtes offre une vue absolument exceptionnelle avec près de 1000 m de vide sur le côté droit. Après avoir monté puis redescendu la Deuxième Dent (3947 m) puis la Troisième Dent (3951 m), on parvient au sommet étriqué de la Quatrième Dent ou Dent Blanche (3949 m) de par son rocher clair et qui se descend en deux petits rappels. Plus que quelques dizaines de mètres à escalader et on atteint enfin le sommet du Doigt de Dieu (3973 m). On regarde alors avec fierté tout le chemin parcouru depuis le matin et on se prend à rêver d'autres sommets en regardant la Meije Orientale, le Pavé et le Pic Gaspard tout proches...
Mais l'escalade est terminée pour aujourd'hui. Après quelques mètres de descente, un rappel dépose à une épaule au pied du Doigt de Dieu, et un second permet de franchir la rimaye pour prendre pied sur le Glacier du Tabuchet. On peut enfin se déplacer sur plus de dix mètres sans devoir se servir de ses mains ! Un dernier moment de concentration pour traverser un pont de neige surplombant une immense crevasse et c'est fourbu, mais heureux, que l'on rejoint le tant attendu Refuge de l'Aigle. On a désormais des souvenirs dans la tête pour l'éternité...
Jour 3 : Refuge de l'Aigle et descente au Pied du Col
Le Refuge de l'Aigle fait partie des refuges mythiques et historiques. Ne serait-ce qu'y passer une nuit est une expérience mémorable. Perché au sommet d'un petit piton rocheux à 3450 m d'altitude à l'intersection entre le glacier du Tabuchet et le glacier de l'Homme, il offre sur ce dernier une vue plongeante très impressionnante. Il fut pendant longtemps une sorte de dernier des mohicans, le "dernier vrai refuge" disaient certains. Une frêle cabane en bois construite en 1910 dotée d'une unique pièce qui faisait office de dortoir et de salle à manger.
Il a été rénové en 2014 afin de le rendre moins vulnérable (notamment vis-à-vis du risque d'incendie) et un peu plus spacieux, mais il a gardé son âme. Une fois l'étroit vestibule franchi, on retrouve une pièce unique où les couchages s'étirent sur trois niveaux. Une partie de sa charpente a été conservée et ses vieilles poutres patinées rappellent ainsi la grande époque de l'alpinisme.
Le rejoindre n'est pas accessible à tout le monde étant donné le terrain délicat qu'il faut franchir au niveau de la Vire Amieux et les 1800 mètres de dénivelé qui transforment la montée en véritable "bavante". L'autre façon d'y parvenir en été est via les arêtes de la Meije. Au printemps, le passage du Serret du Savon permet aussi aux skieurs-alpinistes d'y accéder depuis le glacier de la Meije et le refuge du Promontoire.
Depuis l’exiguë terrasse du refuge, la vue est fantastique. Côté Est, le regard dévale le raide Glacier de l'Homme et la vue s'étend jusqu'aux Cerces et au delà. Côté Sud, une muraille faite de roc, de neige et de glace qui s'étend du Pic Gaspard jusqu'au Grand Pic de la Meije. À l'Ouest les pentes débonnaires du glacier du Tabuchet guident le regard vers la vallée de la Romanche et les courbes apaisantes du massif des Grandes Rousses, tandis qu'au Nord on découvre les Aiguilles d'Arves.
S'il est possible (mais probablement éreintant) de redescendre directement dans la vallée après avoir réalisé la traversée de la Meije, passer une nuit au Refuge de l'Aigle permet de prolonger le plaisir du temps passé "là haut". La Meije est là, toute proche, et on n'a pas encore envie de la quitter. Au petit matin, on profite de l'ambiance toute particulière de l'aube qui précède un magnifique lever de soleil sur les arêtes où l'on jouait la veille au funabule.
Après avoir chaussé les crampons, on redescend les pentes douces du glacier du Tabuchet avant de bifurquer sur la droite dans les rocher au niveau de la Vire Amieux. Cet astucieux passage situé vers 3200 mètres sous le Bec de l'Homme fut découvert par un ancien guide de La Grave, Lucien Amieux. Après avoir désescaladé les rochers jusqu'en contrebas du Col du Bec (3065 m), on rejoint le plancher des vaches et la longue descente à travers les rocailles puis les alpages verdoyants et ensoleillés qui mènent jusqu'au Pied du Col dans la vallée.
Ainsi se termine cette fabuleuse aventure sur cette montagne mythique. Une chose est certaine désormais, on ne regardera plus la Meije comme avant.
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